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tel j’ai trouve celui que je viens d’étudier. Son ame, forte eu ce qu’elle ne se laisse point détourner de son objet, mais foible pour surmonter les obstacles, ne prend gueres de mauvaises directions, mais suit lâchement la bonne. Quand il est quelque chose, il est bon, mais plus souvent il est nul, & c’est pour cela même que sans être persévérant il est ferme, que les traits de l’adversité ont moins de prise sur lui qu’ils n’auroient sur tout autre homme, & que malgré tous ses malheurs, ses sentimens sont encore plus affectueux que douloureux. Son cœur avide de bonheur & de joie, ne peut garder nulle impression pénible. La douleur peut le déchirer un moment sans pouvoir y prendre racine. Jamais idée affligeante n’a pu long-tems l’occuper. Je l’ai vu dans les plus grandes calamites de sa malheureuse vie passer rapidement de la plus profonde affliction à la plus pure joie, & cela sans qu’il restât pour le moment dans son ame aucune trace des douleurs qui venoient de la déchirer, qui l’alloient déchirer encore, & qui constituoient pour lors son état habituel.

Les affections auxquelles il a le plus de pente se distinguent même par des signes physiques. Pour peu qu’il soit ému ses yeux se mouillent à l’instant. Cependant jamais la seule douleur ne lui fit verser une larme ; mais tout sentiment tendre & doux, ou grand & noble dont la vérité passe à son cœur lui en arrache infailliblement. Il ne sauroit pleurer que d’attendrissement ou d’admiration : la tendresse & la générosité sont les deux seules cordes sensibles par lesquelles on peut vraiment l’affecter. Il peut voir ses malheurs d’un