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besoin de ce repos & le goûte alors avec une sensualité d’enfant dont nos sages ne se doutent gueres. Il n’apperçoit rien sinon quelque mouvement à son oreille ou devant ses yeux, mais c’en est assez pour lui. Non-seulement une parade de foire une revue un exercice une procession l’amuse ; mais la grue le cabestan le mouton, le jeu d’une machine quelconque, un bateau qui passe, un moulin qui tourne, un bouvier qui laboure, des joueurs de boule ou de battoir, la rivière qui court, l’oiseau qui vole, attachent ses regards. Il s’arrête même à des spectacles sans mouvement, pour peu que la variété y supplée. Des colifichets, en étalage des bouquins ouverts sur les quais & dont il ne lit que les titres, des images contre les murs qu’il parcourt d’un œil stupide, tout cela l’arrête & l’amuse quand son imagination fatiguée à besoin de repos de repos. Mais nos modernes sages qui le suivent cet l’épient dans tout ce badaudage en tirent des conséquences à leur mode sur les motifs de son attention & toujours dans l’aimable caractere dont ils l’ont obligeamment gratifie. Je le vis un jour assez long-tems arrête devant une gravure. De jeunes gens inquiets de savoir ce qui l’occupoit si fort, mais allez polis contre l’ordinaire, pour ne pas s’aller interposer entre l’objet & lui, attendirent avec une risible impatience. Si-tôt qu’il partit, ils coururent à la gravure & trouvèrent que c’étoit le plan des attaques du fort de Kehl. Je les vis ensuite long- tems & vivement occupes d’un entretien fort anime, dans lequel je compris qu’ils fatiguoient leur minerve à chercher quel crime on pouvoir méditer en regardant le plan des attaques du sort de Kehl.