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généralement en confirmation de cette théorie que les gens d’esprit & sur-tout les gens de lettres sont de tous les hommes ceux qui ont une plus grande intensité d’amour-propre, les moins portes à aimer, les plus portes à haïr.

Vous me direz peut- être que rien n’est plus commun que des sots pétris d’amour-propre. Cela n’est vrai qu’en distinguant. Fort souvent les sots sont vains, mais rarement ils sont jaloux, parce que se croyant bonnement à la premiere place, ils sont toujours très-contens de leur lot. Un homme d’esprit n’a genres le même bonheur ; il sent parfaitement, & ce qui lui manque, & l’avantage qu’en fait de mérite ou de talens un autre peut avoir sur lui. Il n’avoue cela qu’a lui-même, mais il le sent en dépit de lui, & voilà ce que l’amour-propre ne pardonne point.

Ces éclaircissemens m’ont paru nécessaires pour jetter du jour sur ces imputations de sensibilité, tournées par les uns en éloges & par les autres en reproches, sans que les uns ni les autres fâchent trop ce qu’ils veulent dire par-la, faute d’avoir conçu qu’il est des genres de sensibilité de natures différentes & même contraires qui ne sauroient s’allier ensemble dans un même individu. Passions maintenant à l’application.

Jean-Jaques m’a paru doue de la sensiblité physique à un assez haut degré. Il dépend beaucoup de ses sens & il en dependroit bien davantage si la sensibilité morale n’y faisoit souvent diversion ; & c’est même encore souvent par celle-ci que l’autre l’affecte si vivement. De beaux sons, un beau ciel, un beau paysage, un beau lac, des fleurs, des parfums, de beaux yeux un doux regard ; tout cela ne réagit si fort sur ses