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faut apprécier le sang-froid. Pour moi je ne vois point comment l’impénétrable dissimulation la profonde hypocrisie que vous avez prêtée à celui-ci s’accorde avec cette abjection presque incroyable dont vous faites ici son élément naturel. Comment, Monsieur, un homme si haut si fier si orgueilleux qui, plein de génie & de feu, a pu, selon vous, se contenir & garder quarante ans le silence pour étonner l’Europe de la vigueur de sa plume ; un homme qui met à un si haut prix l’opinion des autres qu’il a tout sacrifie à une fausse affectation de vertu, un homme dont l’ambitieux amour-propre vouloir remplir tout l’univers de sa gloire, éblouir tous ses contemporains de l’éclat de ses talens & de ses vertus, fouler à ses pieds tous les préjugés, braver toutes les puissances, & se faire admirer par sort intrépidité. Ce même homme a présent insensible à tant d’indignités s’abreuve à longs -traits d’ignominie & se repose mollement dans la fange comme dans sort élément naturel. De grace, mettez plus d’accord dans vos idées ou veuillez m’expliquer comment cette brute insensibilité peut exister dans une ame capable d’une telle effervescence. Les outrages affectent tous les hommes, mais beaucoup plus ceux qui les méritent & qui n’ont point d’asyle en eux-mêmes pour s’y dérober. Pour en être ému le moins qu’il est possible il faut les sentir injustes, & s’être fait de l’honneur & de l’innocence un rempart autour de son cœur inaccessible à l’opprobre. Alors on peut se consoler de l’erreur ou de l’injustice des hommes : car dans le premier cas les outrages, dans l’intention de ceux qui les sont ne sont pas pour celui qui les reçoit, & dans le second ils ne les lui sont pas dans l’opinion