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j’aurois fait cas moi-même ; vous savez à quel prix elle m’à vendu cette fumée dont ils sont si avides, & qui, même eût-elle été plus pure n’étoit pas l’aliment qu’il faloit à mon cœur. Tant que la fortune ne m’à fait que pauvre le n’ai pas vécu malheureux. J’ai goûte quelquefois de vrais plaisirs dans l’obscurité : mais je n’en suis sorti que pour tomber dans un gouffre de calamites, & ceux qui m’y ont plonge se sont appliques à me rendre insupportables les maux qu’ils feignoient de plaindre & que je n’aurois pas connus sans eux. Revenu de cette douce chimère de l’amitié dont la vaine recherche à fait tous les malheurs de ma vie, bien plus revenu des erreurs de l’opinion dont je suis la victime, ne trouvant plus parmi les hommes ni droiture ni vérité, ni aucun de ces sentimens que je crus innés dans leurs ames parce qu’ils l’étoient dans la mienne, & sans lesquels toute société n’est que tromperie & mensonge, je me suis retire au-dedans de moi, & vivant entre moi & la nature, je goûtois une douceur infinie à penser que je n’étois pas seul, que je ne conversois pas avec un être insensible & mort, que mes maux étoient comptes, que ma patience étoit mesurée, & que toutes les miseres de ma vie n’étoient que des provisions de dédommagemens & de jouissances pour un meilleur état. Je n’ai jamais adopté la philosophie des heureux du siecle ; elle n’est pas faite pour moi ; j’en cherchois une plus appropriée à mon cœur, plus consolante dans l’adversité, plus encourageante pour la vertu.. Je la trouvois dans les livres de J. J. J’y puisois des sentimens si conformes à ceux qui m’étoient naturels, j’y sentis tant de rapport avec mes propres dispositions que seul parmi tous les