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à la grâce ; on me souhaita bonne fortune, on ferma sur moi la porte & tout disparut.

Ainsi s’éclipserent en un instant toutes mes grandes espérances & il ne me resta de la démarche intéressée que je venois de faire, que le souvenir d’avoir été apostat & dupe tout à la fois. Il est aisé de juger quelle brusque révolution dut se faire dans mes idées, lorsque de mes brillans projets de fortune je me vis tomber dans la plus complete misere & qu’après avoir délibéré le matin sur le choix du palais que j’habiterois, je me vis le soir réduit à coucher dans la rue. On croira que je commençai par me livrer à un désespoir d’autant plus cruel, que le regret de mes fautes devoit s’irriter en me reprochant que tout mon malheur étoit mon ouvrage. Rien de tout cela. Je venois pour la premiere fois de ma vie d’être enfermé pendant plus de deux mois. Le premier sentiment que je goûtai fut celui de la liberté que j’avois recouvrée. Après un long esclavage, redevenu maître de moi-même & de mes actions, je me voyois au milieu d’une grande ville abondante en ressources, pleine de gens de condition, dont mes talens & mon mérite ne pouvoient manquer de me faire accueillir si-tôt que j’en serois connu. J’avois, de plus, tout le tems d’attendre & vingt francs que j’avois dans ma poche, me sembloient un trésor qui ne pouvoit s’épuiser. J’en pouvois disposer à mon gré, sans rendre compte à personne. C’étoit la premiere fois que je m’étois vu si riche. Loin de me livrer au découragement & aux larmes, je ne fis que changer d’espérances ; & l’amour-propre n’y perdit rien. Jamais je ne me sentis tant de confiance & de sécurité : je croyois déjà ma