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jeune encore je sentis que quelque religion qui fût la vraie, j’allois vendre la mienne & que, quand même je choisirois bien, j’allois au fond de mon cœur mentir au Saint Esprit & mériter le mépris des hommes. Plus j’y pensois, plus je m’indignois contre moi-même & je gémissois du sort qui m’avoit amené là, comme si ce sort n’eût pas été mon ouvrage. Il y eut des momens où ces réflexions devinrent si fortes que si j’avois un instant trouvé la porte ouverte, je me serois certainement évadé ; mais il ne me fut pas possible & cette résolution ne tint pas non plus bien fortement.

Trop de désirs secrets la combattoient pour ne la pas vaincre. D’ailleurs l’obstination du dessein formé de ne pas retourner à Geneve ; la honte, la difficulté même de repasser les monts ; l’embarras de me voir loin de mon pays sans amis, sans ressources ; tout cela concouroit à me faire regarder comme un repentir tardif les remords de ma conscience ; j’affectois de me reprocher ce que j’avois fait pour excuser ce que j’allois faire. En aggravant les torts du passé, j’en regardois l’avenir comme une suite nécessaire. Je ne me disois pas ; rien n’est fait encore & tu peux être innocent si tu veux ; mais je me disois : gémis du crime dont tu t’es rendu coupable & que tu t’es mis dans la nécessité d’achever.

En effet, quelle rare force d’ame ne me falloit-il point à mon âge, pour révoquer tout ce que jusque-là j’avois pu promettre ou laisser espérer, pour rompre les chaînes que je m’étois données, pour déclarer avec intrépidité que je voulois rester dans la religion de mes peres, au risque de tout ce qui en pouvoit arriver ? Cette vigueur n’étoit pas de mon