Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/74

Cette page n’a pas encore été corrigée

& de physique, elle ne laissa pas de prendre le goût que son pere avoit pour la médecine empirique & pour l’alchimie ; elle faisoit des élixirs, des teintures, des baumes, des magisteres, elle prétendoit avoir des secrets. Les charlatans profitant de sa foiblesse s’emparerent d’elle, l’obséderent, la ruinerent & consumerent au milieu des fourneaux & des drogues son esprit, ses talens & ses charmes, dont elle eût pu faire les délices des meilleures sociétés.

Mais-si de vils fripons abuserent de son éducation mal dirigée pour obscurcir les lumieres de sa raison, son excellent cœur fut à l’épreuve & demeura toujours le même : son caractere aimant & doux, sa sensibilité pour les malheureux, son inépuisable bonté, son humeur gaie, ouverte & franche ne s’altérerent jamais ; & même, aux approches de la vieillesse, dans le sein de l’indigence, des maux, des calamités diverses, la sérénité de sa belle ame lui conserva jusqu’à la fin de sa vie toute la gaieté de ses plus beaux jours.

Ses erreurs lui vinrent d’un fonds d’activité inépuisable qui vouloit sans cesse de l’occupation. Ce n’étoit pas des intrigues de femmes qu’il lui falloit, c’étoit des entreprises à faire & à diriger. Elle étoit née pour les grandes affaires. À sa place madame de Longueville n’eût été qu’une tracassiere ; à la place de madame de Longueville elle eût gouverné l’Etat. Ses talens ont été déplacés & ce qui eût fait sa gloire dans une situation plus élevée a fait sa perte dans celle où elle a vécu. Dans les choses qui étoient à sa portée elle étendoit toujours son plan dans sa tête & voyoit toujours son objet en grand. Cela faisoit qu’employant des moyens proportionnés à ses vues plus