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eux & moi. Seul au milieu d’eux, je n’ai que moi seul pour ressource & cette ressource est bien foible à mon âge & dans l’état où je suis. Ces maux sont grands, mais ils ont perdu sur moi toute leur force depuis que j’ai su les supporter sans m’en irriter. Les points où le vrai besoin se fait sentir sont toujours rares. La prévoyance & l’imagination les multiplient, & c’est par cette continuité de sentimens qu’on s’inquiète & qu’on se rend malheureux. Pour moi j’ai beau savoir que je souffrirai demain, il me suffit de ne pas souffrir aujourd’hui pour être tranquille. Je ne m’affecte point du mal que je prévois mais seulement de celui que je sens, & cela le réduit à très-peu de chose. Seul, malade & délaissé dans mon lit, j’y peux mourir d’indigence, de froid & de faim sans que personne s’en mette en peine. Mais qu’importe, si je ne m’en mets pas en peine moi-même & si je m’affecte aussi peu que les autres de mon destin quel qu’il soit ? N’est-ce rien, sur-tout à mon âge, que d’avoir appris à voir la vie & la mort, la maladie & la santé, la richesse & la misere, la gloire & la diffamation avec la même indifférence ? Tous les autres vieillards s’inquiètent de tout, moi je ne m’inquiète de rien, quoi qu’il puisse arriver tout m’est indifférent, & cette indifférence n’est pas l’ouvrage de ma sagesse, elle est celui de mes ennemis & devient une compensation des maux qu’ils me font. En me rendant insensible à l’adversité ils m’ont fait plus de bien que s’ils m’eussent épargné ses atteintes. En ne l’éprouvant pas je pourrois toujours la craindre, au lieu qu’en la subjuguant je ne la crains plus.

Cette disposition me livre, au milieu des traverses de ma