De toutes les habitations où j’ai demeuré (& j’en ai eu de
charmantes,) aucune ne m’a rendu si véritablement heureux
& ne m’a laissé de si tendres regrets que l’Isle de St. Pierre
au milieu du Lac de Bienne. Cette petite Isle qu’on appelle
à Neufchâtel l’Isle de la Motte, est bien peu connue, même
en Suisse. Aucun voyageur, que je sache, n’en fait mention.
Cependant elle est très-agréable & singuliérement située pour
le bonheur d’un homme qui aime à se circonscrire ; car quoique
je sois peut-être le seul au monde à qui sa destinée en
ait fait une loi, je ne puis croire être le seul qui ait un
goût si naturel, quoique je ne l’aye trouvé jusqu’ici chez nul
autre.
Les rives du Lac de Bienne sont plus sauvages & romantiques que celles du Lac de Geneve, parce que les rochers & les bois y bordent l’eau de plus près ; mais elles ne sont pas moins riantes. S’il y a moins de culture de champs & de vignes, moins de villes & de maisons ; il y a aussi plus de verdure naturelle, plus de prairies, d’asyles ombragés de bocages, des contrastes plus fréquens & des accidens plus rapprochés. Comme il n’y a pas sur ces heureux bords de grandes routes commodes pour les voitures, le pays est peu fréquenté par les voyageurs ; mais il est intéressant pour des contemplatifs solitaires qui aiment à s’enivrer à loisir des charmes de la nature, & à se recueillir dans un silence que ne trouble aucun autre bruit que le cri des aigles, le ramage