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sont tenus. Mais c’est uniquement l’intention de celui qui les tient qui les apprécie, & détermine leur degré de malice ou de bonté. Dire faux n’est mentir que par l’intention de tromper, & l’intention même de tromper loin d’être toujours jointe avec celle de nuire, a quelquefois un but tout contraire. Mais pour rendre un mensonge innocent il ne suffit pas que l’intention de nuire ne soit pas expresse, il faut de plus la certitude que l’erreur dans laquelle on jette ceux à qui l’on parle ne peut nuire à eux ni à personne en quelque façon que ce soit. Il est rare & difficile qu’on puisse avoir cette certitude ; aussi est-il difficile & rare qu’un mensonge soit parfaitement innocent. Mentir pour son avantage à soi-même est imposture, mentir pour l’avantage d’autrui est fraude, mentir pour nuire est calomnie ; c’est la pire espece de mensonge. Mentir sans profit ni préjudice de soi ni d’autrui n’est pas mentir : ce n’est pas mensonge, c’est fiction.

Les fictions qui ont un objet moral s’appellent apologues ou fables, & comme leur objet n’est ou ne doit être que d’envelopper des vérités utiles sous des formes sensibles & agréables, en pareil cas on ne s’attache gueres à cacher le mensonge de fait qui n’est que l’habit de la vérité ; & celui qui ne débite une fable que pour une fable, ne ment en aucune façon.

Il est d’autres fictions purement oiseuses, telles que sont la plupart des contes & dès romans qui, sans renfermer aucune instruction véritable n’ont pour objet que l’amusement. Celles-là, dépouillées de toute utilité morale, ne peuvent s’apprécier que par l’intention de celui qui les invente, & lorsqu’il les