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quitte tout, je renonce à tout, je pars, je vole, j’arrive dans tous les mêmes transports de ma premiere jeunesse & je me retrouve à ses pieds. Ah ! j’y serois mort de joie si j’avois retrouvé dans son accueil, dans ses caresses, dans son cœur enfin, le quart de ce que j’y retrouvois autrefois & que j’y reportois encore.

Affreuse illusion des choses humaines ! Elle me reçut toujours avec son excellent cœur qui ne pouvoit mourir qu’avec elle : mais je venois rechercher le passé qui n’étoit plus & qui ne pouvoit renaître. À peine eus-je resté une demi-heure avec elle que je sentis mon ancien bonheur mort pour toujours. Je me retrouvai dans la même situation désolante que j’avois été forcé de fuir, &, cela sans que je pusse dire qu’il y eût de la faute de personne ; car au fond Courtilles n’étoit pas mauvais & parut me revoir avec plus de plaisir que de chagrin. Mais comment me souffrir surnuméraire près de celle pour qui j’avois été tout & qui ne pouvoit cesser d’être tout pour moi ? Comment vivre étranger dans la maison dont j’étois l’enfant. L’aspect des objets témoins de mon bonheur passé me rendoit la comparaison plus cruelle. J’aurois moins souffert dans une autre habitation. Mais me voir rappeller incessamment tant de doux souvenirs, c’étoit irriter le sentiment de mes pertes. Consumé de vains regrets, livré à la plus noire mélancolie, je repris le train de rester seul hors les heures des repas. Enfermé avec mes livres j’y cherchois des distractions utiles, & sentant le péril imminent que j’avois tant craint autrefois, je me tourmentois derechef à chercher en moi-même les moyens d’y pourvoir quand Maman n’auroit plus de ressources. J’avois mis