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juste au moment que j’avois marqué. Je voulois goûter dans tout son charme le plaisir de la revoir. J’aimois mieux le différer un peu pour y joindre celui d’être attendu. Cette précaution m’avoit toujours réussi. J’avois vu toujours marquer mon arrivée par une espece de petite fête : je n’en attendois pas moins cette fois, & ces empressements qui m’étoient si sensibles, valoient bien la peine d’être ménagés.

J’arrivai donc exactement à l’heure. De tout loin je regardois si je ne la verrois pas sur le chemin ; le cœur me battoit de plus en plus à mesure que j’approchois. J’arrive essoufflé ; car j’avois quitté ma voiture en ville : je ne vois personne dans la cour, sur la porte, à la fenêtre ; je commence à me troubler ; je redoute quelque accident. J’entre ; tout est tranquille ; des ouvriers goûtoient dans la cuisine ; du reste aucun apprêt. La servante parut surprise de me voir ; elle ignoroit que je dusse arriver. Je monte, je la vois enfin, cette chere Maman si tendrement, si vivement, si purement aimée ; j’accours, je m’élance à ses pieds. Ah ! te voilà petit ! me dit-elle en m’embrassant : as-tu fait bon voyage ? comment te portes-tu ? Cet accueil m’interdit un peu. Je lui demandai si elle n’avoit pas reçu ma lettre. Elle me dit que oui. J’aurois cru que non, lui dis-je ; & l’éclaircissement finit là. Un jeune homme étoit avec elle. Je le connoissois pour l’avoir vu déjà dans la maison avant mon départ : mais cette fois il y paroissoit établi, il l’étoit. Bref, je trouvai ma place prise.

Ce jeune homme étoit du Pays-de-Vaud, son pere appellé Vintzenried, étoit concierge ou soi-disant capitaine du château de Chillon. Le fils de Monsieur le capitaine étoit garçon