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mon ambition que de me réduire pour la vie à l’état de musicien. Elle qui ne formoit que dés projets magnifiques & qui ne me prenoit plus tout-à-fait au mot de M. d’Aubonne, me voyoit avec peine occupé sérieusement d’un talent qu’elle trouvoit si frivole & me répétoit souvent ce proverbe de province, un peu moins juste à Paris, que qui bien chante & bien danse, fait un métier qui peu avance. Elle me voyoit d’un autre côté entraîné par un goût irrésistible ; ma passion de musique devenoit une fureur & il étoit à craindre que mon travail se sentant de mes distractions, ne m’attirât un congé qu’il valoit beaucoup mieux prendre de moi-même. Je lui représentois encore que cet emploi n’avoit pas long-tems à durer, qu’il me falloit un talent pour vivre & qu’il étoit plus sûr d’achever d’acquérir par la pratique celui auquel mon goût me portoit & qu’elle m’avoit choisi, que de me mettre à la merci des protections, ou de faire de nouveaux essais qui pouvoient mal réussir & me laisser, après avoir passé l’âge d’apprendre, sans ressource pour gagner mon pain. Enfin j’extorquai son consentement plus à force d’importunités & de caresses, que de raisons dont elle se contentât. Aussi-tôt je courus remercier fiérement M. Coccelli Directeur-général du cadastre, comme si j’avois fait l’acte le plus héroïque & je quittai volontairement mon emploi sans sujet, sans raison, sans prétexte, avec autant & plus de joie que je n’en avois eu à le prendre il n’y avoit pas deux ans.

Cette démarche toute folle qu’elle étoit, m’attira dans le pays une sorte de considération qui me fut utile. Les uns me