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de ma part, si fort, si constant, si invincible, que même depuis ma sortie du royaume, depuis que le Gouvernement, les Magistrats, les Auteurs s’y sont à l’envi déchaînés contre moi, depuis qu’il est devenu du bon air de m’accabler d’injustices & d’outrages, je n’ai pu me guérir de ma folie. Je les aime en dépit de moi quoiqu’ils me maltraitent.

J’ai cherché long-tems la cause de cette partialité & je n’ai pu la trouver que dans l’occasion qui la vit naître. Un goût croissant pour la littérature, m’attachoit aux livres François, aux Auteurs de ces livres, au pays de ces Auteurs. Au moment même que défiloit sous mes yeux l’armée Françoise, je lisois les grands Capitaines de Brantôme. J’avois la tête pleine des Clisson, des Bayard, des Lautrec, des Coligny, des Montmorency, des la Trimouille & je m’affectionnois à leurs descendans comme aux héritiers de leur mérite & de leur courage. À chaque régiment qui passoit je croyois revoir ces fameuses bandes noires qui jadis avoient fait tant d’exploits en Piémont. Enfin j’appliquois à ce que je voyois les idées que je puisois dans les livres ; mes lectures continuées & toujours tirées de la même nation nourrissoient mon affection pour elle & m’en firent une passion aveugle que rien n’a pu surmonter. J’ai eu dans la suite occasion de remarquer dans mes voyages que cette impression ne m’étoit pas particuliere & qu’agissant plus ou moins dans tous les pays sur la partie de la nation qui aimoit la lecture & qui cultivoit les lettres, elle balançoit la haine générale qu’inspire l’air avantageux des François. Les romans