Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/195

Cette page n’a pas encore été corrigée

métier. Il s’étoit jetté dans la belle littérature & il y avoit réussi. Il en avoit pris sur-tout cette brillante superficie, cette fleur qui jette de l’agrément dans le commerce, même avec les femmes. Il savoit par cœur tous les petits traits des ana & autres semblables : il avoit l’art de les faire valoir, en contant avec intérêt, avec mystere & comme une anecdote de la veille, ce qui s’étoit passé il y avoit soixante ans. Il savoit la musique & chantoit agréablement de sa voix d’homme : enfin il avoit beaucoup de jolis talens pour un magistrat. À force de cajoler les Dames d’Annecy, il s’étoit mis à la mode parmi elles ; elles l’avoient à leur suite comme un petit sapajou. Il prétendoit même à de bonnes fortunes & cela les amusoit beaucoup. Une Madame d’Epagny, disoit que pour lui la derniere faveur étoit de baiser une femme au genou.

Comme il connoissoit les bons livres & qu’il en parloit volontiers, sa conversation étoit non-seulement amusante, mais instructive. Dans la suite, lorsque j’eus pris du goût pour l’étude, je cultivai sa connoissance & je m’en trouvai très-bien. J’allois quelquefois le voir de Chambéri où j’étois alors. Il louoit, animoit mon émulation & me donnoit pour mes lectures de bons avis dont j’ai souvent fait mon profit. Malheureusement dans ce corps si fluet, logeoit une ame très-sensible. Quelques années après, il eut je ne sais quelle mauvaise affaire qui le chagrina & il en mourut. Ce fut dommage ; c’étoit assurément un bon petit homme, dont on commençoit par rire & qu’on finissoit par aimer. Quoique sa vie ait été peu liée à la mienne, comme j’ai reçu de lui des