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pays avoit imité Madame de Warens, chez qui je l’avois vue quelquefois ; mais n’ayant pas eu une pension comme elle, elle avoit été trop heureuse de s’attacher à Mademoiselle Galley, qui, l’ayant prise en amitié avoit engagé sa mere à la lui donner pour compagne, jusqu’à ce qu’on la pût placer de quelque façon. Mademoiselle Galley d’un an plus jeune qu’elle, étoit encore plus jolie ; elle avoit je ne sais quoi de plus délicat, de plus fin ; elle étoit en même tems très-mignonne & très-formée, ce qui est pour une fille le plus beau moment. Toutes deux s’aimoient tendrement & leur bon caractere à l’une & à l’autre ne pouvoit qu’entretenir long-tems cette union, si quelque amant ne venoit pas la déranger. Elles me dirent qu’elles alloient à Toune, vieux château appartenant à Madame Galley ; elles implorerent mon secours pour faire passer leurs chevaux, n’en pouvant venir à bout elles seules ; je voulus fouetter les chevaux, mais elles craignoient pour moi les ruades & pour elles les haut-le-corps. J’eus recours à un autre expédient : je pris par la bride le cheval de Mademoiselle Galley, puis le tirant après moi, je traversai le ruisseau ayant de l’eau jusqu’à mi-jambes & l’autre cheval suivit sans difficulté. Cela fait, je voulus saluer ces Demoiselles & m’en aller comme un benêt : elles se dirent quelques mots tout bas, & Mademoiselle G

[Graffenried] s’adressant à moi ; non pas, non pas, me dit-elle, on ne nous échappe pas comme cela. Vous vous êtes mouillé pour notre service & nous devons en conscience avoir soin de vous sécher : il faut s’il vous plaît venir avec nous, nous vous arrêtons prisonnier. Le cœur me battoit, je regardois Mademoiselle Galley : oui, oui, ajouta-t-elle en riant de ma