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Autant que j’ai pu juger des vues qu’on avoit sur moi par quelques mots lâchés à la volée & auxquels je n’ai réfléchi qu’après coup, il m’a paru que la maison de Solar voulant courir la carriere des ambassades & peut-être s’ouvrir de loin celle du ministere, auroit été bien aise de se former d’avance un sujet qui eût du mérite & des talens & qui dépendant uniquement d’elle, eût pu dans la suite obtenir sa confiance & la servir utilement. Ce projet du Comte de Gouvon étoit noble, judicieux, magnanime & vraiment digne d’un grand seigneur bienfaisant & prévoyant : mais outre que je n’en voyois pas alors toute l’étendue, il étoit trop sensé pour ma tête & demandoit un trop long assujettissement. Ma folle ambition ne cherchoit la fortune qu’à travers les aventures ; & ne voyant point de femme à tout cela, cette maniere de parvenir me paroissoit lente, pénible & triste ; tandis que j’aurois dû la trouver d’autant plus honorable & sûre que les femmes ne s’en mêloient pas, l’espece de mérite qu’elles protégent ne valant assurément pas celui qu’on me supposoit.

Tout alloit à merveilles. J’avois obtenu, presque arraché l’estime de tout le monde : les épreuves étoient finies & l’on me regardoit généralement dans la maison comme un jeune homme de la plus grande espérance, qui n’étoit pas à sa place & qu’on s’attendoit d’y voir arriver. Mais ma place n’étoit pas celle qui m’étoit assignée par les hommes & j’y devois parvenir par des chemins bien différens. Je touche à un de ces traits caractéristiques qui me sont propres & qu’il suffit de présenter au lecteur, sans y ajouter de réflexion.

Quoiqu’il y eût à Turin beaucoup de nouveaux convertis de