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& la vigilance de M. & Madame Lorenzy, que rien ne se trouva de manque sur l’inventaire. La seule Mlle. Pontal perdit un petit ruban couleur de rose & argent déjà vieux. Beaucoup d’autres meilleures choses étoient à ma portée ; ce ruban seul me tenta, je le volai, & comme je ne le cachois gueres on me le trouva bientôt. On voulut savoir où je l’avois pris. Je me trouble, je balbutie & enfin je dis en rougissant, que c’est Marion qui me l’a donné. Marion étoit une jeune mauriennoise, dont Madame de Vercellis avoit fait sa cuisiniere quand, cessant de donner à manger, elle avoit renvoyé la sienne, ayant plus besoin de bons bouillons que de ragoûts fins. Non-seulement Marion étoit jolie, mais elle avoit une fraîcheur de coloris qu’on ne trouve que dans les montagnes & sur-tout un air de modestie & de douceur qui faisoit qu’on ne pouvoit la voir sans l’aimer. D’ailleurs bonne fille, sage & d’une fidélité à toute épreuve. C’est ce qui surprit quand je la nommai. L’on n’avoit gueres moins de confiance en moi qu’en elle & l’on jugea qu’il importoit de vérifier lequel étoit le fripon des deux. On la fit venir ; l’assemblée étoit nombreuse, le comte de la Roque y étoit. Elle arrive, on lui montre le ruban, je la charge effrontément ; elle reste interdite, se tait, me jette un regard qui auroit désarmé les démons & auquel mon barbare cœur résiste. Elle nie enfin avec assurance, mais sans emportement, m’apostrophe, m’exhorte à rentrer en moi-même, à ne pas déshonorer une fille innocente qui ne m’a jamais fait de mal ; & moi avec une impudence infernale je confirme ma déclaration & lui soutiens en face qu’elle m’a donné le ruban. La pauvre fille se mit à pleurer & ne me dit