Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/117

Cette page n’a pas encore été corrigée

Elle ne garda le lit que les deux derniers jours & ne cessa de s’entretenir paisiblement avec tout le monde. Enfin ne parlant plus & déjà dans les combats de l’agonie, elle fit un gros pet. Bon dit-elle en se retournant, femme qui pette n’est pas morte. Ce furent les derniers mots qu’elle prononça.

Elle avoit légué un an de leurs gages à ses bas domestiques ; mais n’étant point couché sur l’état de sa maison je n’eus rien. Cependant le comte de la Roque me fit donner trente livres & me laissa l’habit neuf que j’avois sur le corps & que M. Lorenzy vouloit m’ôter. Il promit même de chercher à me placer & me permit de l’aller voir. J’y fus deux ou trois fois sans pouvoir lui parler. J’étois facile à rebuter, je n’y retournai plus. On verra bientôt que j’eus tort.

Que n’ai-je achevé tout ce que j’avois à dire de mon séjour chez Madame de Vercellis ! Mais, bien que mon apparente situation demeurât la même, je ne sortis pas de sa maison comme j’y étois entré. J’en emportai les longs souvenirs du crime & l’insupportable poids des remords dont au bout de quarante ans ma conscience est encore chargée & dont l’amer sentiment, loin de s’affaiblir, s’irrite à mesure que je vieillis. Qui croiroit que la faute d’un enfant pût avoir des suites aussi cruelles ? C’est de ces suites plus que probables que mon cœur ne sauroit se consoler. J’ai peut-être fait périr dans l’opprobre & dans la misere une fille aimable, honnête, estimable & qui sûrement valoit beaucoup mieux que moi.

Il est bien difficile que la dissolution d’un ménage n’entraîne un peu de confusion dans la maison & qu’il ne s’égare bien des choses. Cependant, telle étoit la fidélité des domestiques,