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toujours à savoir quels ont pu être les interpretes mêmes de cette convention pour les idées qui, n’ayant point un objet sensible, ne pouvoient s’indiquer ni par le geste ni par la voix, de sorte qu’à peine peut-on former des conjectures supportables sur la naissance de cet art de communiquer ses pensées & d’établir un commerce entre les esprits : art sublime qui est déjà si loin de son origine, mais que le philosophe voit encore à une si prodigieuse distance de sa perfection, qu’il n’y a point d’homme assez hardi pour assurer qu’il y arriveroit jamais, quand les révolutions que le tems amene nécessairement seroient suspendues en sa faveur, que les préjugés sortiroient des académies ou se tairoient devant elles, & qu’elles pourroient s’occuper de cet objet épineux durant des siecles entiers sans interruption.

Le premier langage de l’homme, le langage le plus universel, le plus énergique & le seul dont il eut besoin avant qu’il falût persuader des hommes assemblés, est le cri de la nature. Comme ce cri n’étoit arraché que par une sorte d’instinct dans les occasions pressantes, pour implorer du secours dans les grands dangers, ou du soulagement dans les maux violens, il n’étoit pas d’un grand usage dans le cours ordinaire de la vie, où regnent des sentimens plus modérés. Quand les idées des hommes commencerent à s’étendre & à se multiplier, & qu’il s’établit entr’eux une communication plus étroite, ils chercherent des signes plus nombreux & un langage plus étendu ; ils multiplierent les inflexions de la voix, & y joignirent les gestes, qui, par leur nature, sont plus expressifs & dont le sens dépend moins d’une détermination antérieure. Ils exprimoient donc les objets visibles &