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& ses erreurs, ses vices & ses vertus, le rend à la longue le tyran de lui-même & de la nature (note 9). Il seroit affreux d’être obligé de louer comme un être bienfaisant celui qui le premier suggéra à l’habitant des rives de l’Orénoque l’usage de ces ais qu’il applique sur les tempes de ses enfans, & qui leur assurent du moins une partie de leur imbécillité & de leur bonheur originel.

L’homme sauvage, livré par la nature au seul instinct, ou plutôt dédommagé de celui qui lui manque peut-être, par des facultés capables d’y suppléer d’abord & de l’élever ensuite fort au-dessus de celle-là, commencera donc par les fonctions purement animales (note 10) : apercevoir & sentir sera son premier état, qui lui sera commun avec tous les animaux. Vouloir & ne pas vouloir, désirer & craindre, seront les premieres & presque les seules opérations de son ame, jusqu’à ce que de nouvelles circonstances y causent de nouveaux développemens.

Quoi qu’en disent les Moralistes, l’entendement humain doit beaucoup aux passions, qui, d’un commun aveu, lui doivent beaucoup aussi : c’est par leur activité que notre raison se perfectionne ; nous ne cherchons à connoître, que parce que nous désirons de jouir, & il n’est pas possible de concevoir pourquoi celui qui n’auroit ni désirs ni craintes se donneroit la peine de raisonner. Les passions, à leur tour, tirent leur origine de nos besoins, & leur progrès de nos connoissances ; car on ne peut desirer ou craindre les choses, que sur les idées qu’on en peut avoir, ou par la simple impulsion de la nature ; & l’homme sauvage, privé de toute sorte de