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de pire condition que toutes les autres, & il est aisé de savoir des chasseurs, si dans leurs courses ils trouvent beaucoup d’animaux infirmes. Plusieurs en trouvent-ils qui ont reçu des blessures considérables très bien cicatrisées, qui ont eu des os & même des membres rompus & repris sans autre chirurgien que le tems, sans autre régime que leur vie ordinaire, & qui n’en sont pas moins parfaitement guéris, pour n’avoir point été tourmentés d’incisions, empoisonnés de drogues, ni exténués de jeûnes. Enfin, quelque utile que puisse être parmi nous la médecine bien administrée, il est toujours certain que site Sauvage malade, abandonné à lui-même, n’a rien à espérer que de la nature ; en revanche, il n’a rien à craindre que de son mal ; ce qui rend souvent sa situation préférable à la nôtre.

Gardons-nous donc de confondre l’homme sauvage avec les hommes que nous avons sous les yeux. La nature traite tous les animaux abandonnés à ses soins avec une prédilection qui semble montrer combien elle est jalouse de ce droit. Le cheval, le chat, le taureau, l’âne même, ont la plupart une taille plus haute, tous une constitution plus robuste, plus de vigueur, de force & de courage dans les forêts que dans nos maisons ; ils perdent la moitié de ces avantages en devenant domestiques, & l’on diroit que tous nos soins à bien traiter & nourrir ces animaux, n’aboutissent qu’à les abâtardir. Il en est ainsi de l’homme même : en devenant sociable & esclave, il devient foible, craintif, rampant, & sa maniere de vivre molle & efféminée acheve d’énerver à la fois sa force & son courage. Ajoutons qu’entre les conditions sauvage & domestique,