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souverain. Pour cela il importe que dans le choix des officiers on n’ait aucun égard au rang au crédit & à la fortune ; mais uniquement à l’expérience & aux talens. Rien n’est plus aisé que de jetter sur le bon maniement des armes un point d’honneur qui fait que chacun s’exerce avec zele pour le service de la patrie aux yeux de sa famille & des siens ; zele qui ne peut s’allumer de même chez de la canaille enrôlée au hasard, & qui ne sent que la peine de s’exercer. J’ai vu le tems qu’à Geneve les bourgeois manœuvroient beaucoup mieux que des troupes réglées ; mais les magistrats trouvant que cela jettoit dans la bourgeoisie un esprit militaire qui n’alloit pas à leurs vues, ont pris peine à étouffer cette émulation, & n’ont que trop bien réussi.

Dans l’exécution de ce projet on pourroit sans aucun danger rendre au Roi l’autorité militaire naturellement attachée à sa place ; car il n’est pas concevable que la nation puisse être employée à s’opprimer elle-même, du moins quand tous ceux qui la composent auront part à la liberté. Ce n’est jamais qu’avec des troupes réglées & toujours subsistantes que la puissance exécutive peut asservir l’Etat. Les grandes armées Romaines furent sans abus tant qu’elles changerent à chaque Consul, & jusqu’à Marius il ne vint pas même à l’esprit d’aucun d’eux qu’ils en pussent tirer aucun moyen d’asservir la République. Ce ne fut que quand le grand éloignement des conquêtes força les Romains de tenir long-tems sur pied les mêmes armées, de les recruter de gens sans aveu, & d’en perpétuer le commandement à des Proconsuls, que ceux-ci commencerent à sentir leur indépendance & à vouloir s’en