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sein de la société par mille causes sans cesse renaissantes, par l’acquisition d’une multitude de connoissances & d’erreurs, par les changemens arrivés à la constitution des corps, & par le choc continuel des passions, a, pour ainsi dire, changé d’apparence au point d’être presque méconnaissable ; & l’on n’y trouve plus, au lieu d’un être agissant toujours par des principes certains & invariables, au lieu de cette céleste & majestueuse simplicité dont son Auteur l’avoit empreinte, que le difforme contraste de la passion qui croit raisonner, & de l’entendement en délire.

Ce qu’il y a de plus cruel encore, c’est que tous les progrès de l’espece humaine l’éloignant sans cesse, de son état primitif, plus nous accumulons de nouvelles connoissances, & plus nous nous ôtons les moyens d’acquérir la plus importante de toutes, & que c’est, en un sens à force d’étudier l’homme que nous nous sommes mis hors d’état de le connoître.

Il est aisé de voir que c’est dans ces changemens successifs de la constitution humaine, qu’il faut chercher la premiere origine des différences qui distinguent les hommes, lesquels, d’un commun aveu, sont naturellement aussi égaux entr’eux que l’étoient les animaux de chaque espece, avant que diverses causes physiques eussent introduit dans quelques-unes les variétés que