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la sienne au fond de son cœur ; il ne vivoit que pour elle & ne put lui survivre. La vertu de Socrate est celle du plus sage des hommes : mais entre César & Pompée, Caton semble un Dieu parmi des mortels. L’un instruit quelques particuliers, combat les sophistes, & meurt pour la vérité : l’autre défend l’Etat, la liberté, les loix contre les conquérans du monde, & quitte enfin la terre quand il n’y voit plus de patrie à servir. Un digne élève de Socrate seroit le plus vertueux de ses contemporains ; un digne émule de Caton en seroit le plus grand. La vertu du premier feroit son bonheur, le second chercheroit son bonheur dans celui de tous. Nous serions instruits par l’un & conduits par l’autre, & cela seul décideroit de la préférence : car on n’a jamais fait un peuple de sages, mais il n’est pas impossible de rendre un peuple heureux.

Voulons-nous que les peuples soient vertueux ? Commençons donc par leur faire aimer la patrie : mais comment l’aimeront-ils, si la patrie n’est rien de plus pour eux que pour des étrangers, & qu’elle ne leur accorde que ce qu’elle ne peut refuser à personne  ? Ce seroit bien pis s’ils n’y jouissoient pas même de la sûreté civile, & que leurs biens, leur vie ou leur liberté fussent à la discrétion des hommes puissans, sans qu’il leur fût possible ou permis d’oser réclamer les loix. Alors soumis aux devoirs de l’état civil, sans jouir même des droits de l’état de nature & sans pouvoir employer leurs forces pour se défendre, ils seroient par conséquent dans la pire condition où se puissent trouver des hommes libres, & le mot de patrie ne pourroit avoir pour