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idées des loix fondamentales de la société, & sans tomber dans des erreurs fatales au genre humain. En effet, si la voix de la nature est le meilleur conseil que doive écouter un bon pere pour bien remplir ses devoirs, elle n’est, pour le magistrat qu’un faux guide qui travaille sans cesse à l’écarter des siens, & qui l’entraîne tôt ou tard à sa perte ou à celle de l’Etat, s’il n’est retenu par la plus sublime vertu. La seule précaution nécessaire au pere de famille, est de se garantir de la dépravation, & d’empêcher que les inclinations naturelles ne se corrompent en lui ; mais ce sont elles qui corrompent le magistrat. Pour bien faire, le premier n’a qu’à consulter son cœur ; l’autre devient un traître au moment qu’il écoute le sien : sa raison même lui doit être suspecte, & il ne doit suivre d’autre regle que la raison publique, qui est la loi. Aussi la nature a-t-elle fait une multitude de bons peres de famille ; mais depuis l’existence du monde, la sagesse humaine a fait bien peu de bons magistrats.

De tout ce que je viens d’exposer, il s’ensuit que c’est avec raison qu’on a distingué l’économie publique de l’ économie particulière, & que la Cité n’ayant rien de commun avec la famille que l’obligation qu’ont les chefs de rendre heureux l’un & l’autre, leurs droits ne sauraient dériver de la même source, ni les mêmes règles de conduite convenir à tous les deux. J’ai cru qu’il suffiroit de ce peu de lignes pour renverser l’odieux systême que le chevalier Filmer a tâché d’établir dans un ouvrage intitulé Patriarcha, auquel deux hommes illustres ont fait trop d’honneur en écrivant des livres pour lui répondre : au reste, cette erreur est fort ancienne, puisque