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avoir le droit de renoncer à la dépendance. Mais les dimensions affreuses, les désordres infinis qu’entraîneroit nécessairement ce dangereux pouvoir, montrent plus que toute autre chose combien les Gouvernemens humains avoient besoin d’une base plus solide que la seule raison, & combien il étoit nécessaire au repos publie que la volonté divine intervînt pour donner à l’autorité souveraine un caractere sacré & inviolable qui ôtât aux sujets le funeste droit d’en disposer. Quand la religion n’auroit fait que ce bien aux hommes, c’en seroit assez pour qu’ils dussent tous la chérir & l’adopter, même avec ses abus, puisqu’elle épargne encore plus de sang que le fanatisme n’en fait couler : mais suivons le fil de notre hypothese.

Les diverses formes des Gouvernemens tirent leur origine des différences plus ou moins grandes qui se trouverent entre les particuliers au moment de l’institution. Un homme étoit-il éminent en pouvoir, en vertu, en richesse ou en crédit, il fut seul élu Magistrat, & l’tat devint monarchique. Si plusieurs, à-peu-pres égaux entr’eux, l’emportoient sur tous les autres, ils furent élus conjointement, & l’on eut une aristocratie. Ceux dont la fortune ou les talens étoient moins disproportionnés, & qui s’étoient le moins éloignés de l’état de nature, garderent en commun l’administration suprême & formerent une démocratie. Le tems vérifia laquelle de ces formes étoit la plus avantageuse aux hommes. Les uns resterent uniquement soumis aux loix, les autres obéirent bientôt à des maîtres. Les citoyens voulurent garder leur liberté, les sujets ne songerent qu’à l’ôter à leurs voisins,