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et se donner une plus brillante administration. Je dirai plus ; le succès de la première institution en rendra, dans la suite, le changement nécessaire. La culture des champs cultive l’esprit ; tout peuple cultivateur multiplie ; il multiplie à proportion du produit de sa terre, et quand cette terre est féconde, il multiplie à la fin si fort qu’elle ne peut plus lui suffire ; alors il est forcé d’établir des colonies ou de changer son gouvernement.

Quand le pays est saturé d’habitants, on n’en peut plus employer l’excédant à la culture ; il faut occuper cet excédant à l’industrie, au commerce, aux arts, et ce nouveau système demande une autre administration. Puisse l’établissement que la Corse va faire, la mettre bientôt dans la nécessité d’en changer ainsi ! Mais tant qu’elle n’aura pas plus d’hommes qu’elle n’en peut occuper, tant qu’il restera dans l’île un pouce de terre en friche, elle doit s’en tenir au système rustique, et n’en changer que quand l’île ne lui suffira plus.

Le système rustique tient, comme j’ai dit, à l’état démocratique ; ainsi la forme que nous avons à choisir est donnée. Il est vrai qu’il y a dans son application quelques modifications à faire à cause de la grandeur de l’île ; car un gouvernement purement démocratique convient à une petite ville plutôt qu’à une nation. On ne saurait assembler tout le peuple d’un pays comme celui d’une cité, et quand l’autorité suprême est confiée à des députés, le gouvernement change et devient aristocratique. Celui qui convient à la Corse est un gouvernement mixte, où le peuple ne s’assemble que par parties, et où les dépositaires de son pouvoir sont souvent changés. C’est ce qu’a très-bien vu l’auteur du mémoire fait en 1764, à Vescorado ; mémoire