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PROJET DE CONSTITUTION POUR LA CORSE.

la pente ; et on l’embarrasse tellement, qu’affaissé sous le poids de ses fers, il demeure inactif, immobile, et, s’il ne décline pas vers sa chute, il ne va pas non plus à sa fin.

Tout cela vient de ce qu’on sépare trop deux choses inséparables, savoir : le corps qui gouverne, et le corps qui est gouverné. Ces deux corps n’en l’ont qu’un par l’institution primitive ; ils ne se séparent que par l’abus de l’institution.

Les plus sages, en pareil cas, observant des rapports de convenance, forment le gouvernement pour la nation. Il y a pourtant beaucoup mieux à faire : c’est de former la nation pour le gouvernement. Dans le premier cas, à mesure que le gouvernement décline, la nation restant la même, la convenance s’évanouit. Mais, dans le second, tout change de pas égal, et la nation, entraînant le gouvernement par sa force, le maintient quand elle se maintient, et le fait décliner quand elle décline. L’un convient a l’autre dans tous les temps. Le peuple, conservé dans l’heureux état qui rend une bonne institution possible, peut partir du premier point et prendre des mesures pour ne pas dégénérer. Plein de vigueur et de santé, il peut se donner un gouvernement qui le maintienne vigoureux et sain. Cependant cet établissement doit trouver déjà des obstacles. Les Corses n’ont pas pris encore les vices des autres nations, mais ils ont déjà pris leurs préjugés ; ce sont ces préjugés qu’il faut combattre et détruire pour former un bon établissement.

J’ai un profond respect pour la république de Gènes, j’en ai pour chaque souverain en particulier, quoique je leur dise quelquefois à tous des vérités un peu dures. Plût au ciel, pour leur propre avantage, qu’on osât les leur dire plus souvent, et qu’ils daignassent quelquefois les entendre.