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qu’il n’en fût pas ainsi. Mais la Suisse n’est plus ce qu’elle était lorsque Rousseau écrivait, et lorsque les Français y sont entrés ; son organisation a été changée ; les éléments de division qui subsistaient dans les principaux cantons ont disparu. Celui de Berne, qui était alors composé de parties hétérogènes, forme aujourd’hui trois cantons qui sont très-unis entre eux. Cette séparation donne à la Suisse une force qui était, il y a trente ans, paralysée ; tous les cantons ont actuellement la constitution et le gouvernement le mieux adapté à leurs mœurs, et chaque année voit les liens fédéraux se resserrer.

Cette heureuse Suisse, par son organisation militaire, a une force qui la met à l’abri de tout envahissement étranger ; elle a une armée de soixante mille hommes d’élite[1], une réserve beaucoup plus forte et un matériel en harmonie avec ses forces ; et, chose remarquable, c’est que les levées de l’élite et même de la réserve n’arrêteraient point ses travaux agricoles, et son sol n’en souffrirait pas[2].

Ce qui double cette force effective, c’est le moral de la nation, c’est son bonheur, c’est que chaque individu qui la compose sent ce bonheur. Malheur à l’armée impie qui oserait violer la neutralité d’un pays dont l’heureuse organisation la met dans l’impossibilité de troubler jamais la tranquillité de ses voisins ! Malheur à la puissance qui voudrait franchir les frontières de la Suisse ! Elle trouverait dans chaque citoyen un soldat pour qui la vie n’est rien

  1. Actuellement, cette armée compte passé cent mille hommes.
    (Note de l’Éditeur.)
  2. Depuis que ceci a été écrit, les liens fédéraux n’ont fait que se resserrer toujours davantage, et la force de la Suisse s’en est accrue par conséquent en proportion. (Note de l’Éditeur.)