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qu’il a bien voulu m’accorder. Peuple brave et hospitalier ! Non, je n’oublierai jamais un moment de ma vie que vos cœurs, vos bras, vos foyers m’ont été ouverts à l’instant qu’il ne me restait presque aucun autre asile en Europe. Si je n’ai point le bonheur de laisser mes cendres dans votre lie, je tâcherai d’y laisser du moins quelque monument de ma reconnaissance, et je m’honorerai aux yeux de toute la terre de vous appeler mes hôtes et mes amis.

Je reçus bien, par M. le chevalier R***, la lettre de M. Paoli ; mais, pour vous faire entendre pourquoi j’y répondis en si peu de mots et d’un ton si vague, il faut vous dire, monsieur, que le bruit de la proposition que vous m’aviez faite s’étant répandu sans que je sache comment, M. de Voltaire fit entendre à tout le monde que cette proposition était une invention de sa façon ; il prétendait m’avoir écrit, au nom des Corses, une lettre contrefaite dont j’avais été la dupe. Comme j’étais très-sûr de vous, je le laissai dire, j’allai mon train, et je ne vous en parlai pas même. Mais il fit plus : il se vanta, l’hiver dernier, que, malgré milord Maréchal et le roi lui-même, il me ferait chasser du pays. Il avait des émissaires, les uns connus, les autres secrets. Dans le fort de la fermentation à laquelle mon dernier écrit servit de prétexte, arrive ici M. de R… ; il vient me voir de la part de M. Paoli, sans m’apporter aucune lettre ni de la sienne, ni de la vôtre, ni de personne ; il refuse de se nommer ; il venait de Genève, il avait vu mes plus ardents ennemis, on me l’écrivait. Son long séjour en ce pays, sans y avoir aucune affaire, avait l’air du monde le plus mystérieux. Ce séjour fut précisément le temps où l’orage fut excité contre moi. Ajoutez qu’il avait fait tous ses efforts pour savoir quelles relations je pouvais