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FRAGMENTS DIVERS.

soucis, de peines ne leur ont servi qu’à me mettre pleinement au-dessus d’eux.


Le bonheur est un état trop constant et l’homme un être trop muable pour que l’un convienne à l’autre. — Solon citait à Crésus l’exemple de trois hommes heureux, moins à cause du bonheur de leur vie que de la douceur de leur mort, et ne lui accordait point d’être un homme heureux, tandis qu’il vivait encore ; l’expérience prouva qu’il avait raison. J’ajoute que, s’il est quelque homme vraiment heureux sur la terre, on ne le citera pas en exemple, car personne que lui n’en sait rien.


Tout me montre et me persuade que la Providence ne se mêle en aucune façon des opinions humaines, ni de tout ce qui tient à la réputation, et qu’elle livre entièrement à la fortune et aux hommes tout ce qui reste ici-bas de l’homme après sa mort.


Je penserais assez que l’existence des êtres intelligents et libres est une suite nécessaire de celle de Dieu, et la seule jouissance que je peux concevoir dans la divinité même, hors de sa plénitude, ou plutôt qui la complète, c’est celle de régner sur des âmes justes.


Ne viendra-t-il donc jamais un homme sensé qui remarque la maligne adresse avec laquelle on parle de moi, soit directement soit indirectement, dans presque tous les livres modernes, sur un ton traîtreusement étranger, avec