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samedi à Paris. Je ne jure jamais, autrement vous auriez une volée de ces imprécations par lesquelles les furieux Anglais expriment une satisfaction extraordinaire.

« Je suis attaché aux Corses de cœur et d’âme ; si vous, illustre Rousseau ! le philosophe qu’ils ont choisi pour leur aider par ses lumières à conserver et jouir de la liberté qu’ils ont acquise avec tant d’héroïsme ; si vous êtes refroidi pour les braves insulaires, je suis tout homme de pouvoir vous regarder avec pitié[1]. Mais la générosité fait une partie de votre existence, et je ne suis pas de ceux qui croient que les nobles qualités de lame peuvent être anéanties.

« Adieu, mon cher monsieur, combien je suis impatient de vous voir, de vous dire mille anecdotes de la Corse dont vous serez enchanté. Le moment que j’arrive à Paris, j’enverrai chez madame Duchesne, où j’espère trouver une ligne de vous. Je suis toujours pour vous comme j’étais à Motiers. »

Rousseau était parti de Paris le mercredi 3 janvier 1766, pour se rendre à Londres. Ainsi la lettre du seigneur écossais ne lui parvint pas. Il avait, en acceptant une retraite dans la Grande-Bretagne, abandonné le projet d’aller habiter la Corse. Cependant le sort de cette île n’était pas encore décidé. Les Français occupaient bien quelques places, et le fait de leur présence aurait été sans doute une hostilité. Mais la république de Gênes y avait des troupes

  1. C’est-à-dire « je suis homme à vous regarder en pitié. » Je n’ai fait à cette lettre, pleine d’anglicismes, aucunes corrections. Je ne me serais permis d’en faire que pour les passages qui auraient été inintelligibles. Autrement c’eût été préférer l’élégance au ton de vérité, qui vaut mieux.