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monstration pouvaient réussir, ils prouveraient contre eux-mêmes, et le sceptique dogmatique me paraît le plus fou des hommes.


Il est impossible qu’un homme incessamment répandu dans la société, et sans cesse occupé à se contrefaire avec les autres, ne se contrefasse pas un peu avec lui-même ; et, quand il aurait le temps de s’étudier, il lui serait presque impossible de se connaître.


Si les princes mêmes sont peints par les historiens avec quelque uniformité, ce n’est pas comme on le pense, parce qu’ils sont en vue et faciles à connaître ; mais parce que le premier qui les a peints est copié par tous les autres. Il n’y a guère d’apparence que le fils de Livie ressemble au Tibère de Tacite. C’est pourtant ainsi que nous le voyons tous, et l’on aime mieux voir un beau portrait qu’un portrait ressemblant.

Toutes les copies d’un même original se ressemblent, mais, faites rendre le même visage par divers peintres, à peine tous ces portraits auront-ils entre eux le moindre rapport. Sont-ils tous bons, ou quel est le vrai ? Jugez des portraits de l’âme !


Les traits du visage ne font leur effet que parce qu’ils y sont tous ; s’il en manque un, le visage est défiguré. — Quand j’écris, je ne songe point à cet ensemble : je ne songe qu’à dire ce que je sais, et c’est de là que résulte l’ensemble et la ressemblance à son original.