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faire mieux donner Rousseau dans le piège. Celui-ci ne pouvait être dupe de ce manège, parce qu’il correspondait directement avec la Corse. Aussi, en parlant des bruits qui partaient de Ferney, à madame de Verdelin, il s’exprimait en ces termes : « Ceux qui croient cette fable ne font guère plus d’honneur, ce me semble, à la probité de M. de Voltaire qu’à mon discernement. Un chevalier de Malte, qui dit venir d’Italie, est venu me voir, il y a quinze jours, de la part du général Paoli, faisant beaucoup l’empressé des commissions dont il se dirait chargé près de moi, mais me disant au fond très-peu de chose, et m’étalant, d’un air important, d’assez chétives paperasses, fort pochetées. À chaque pièce qu’il me montrait, il était tout étonné de me voir tirer d’un tiroir la même pièce et la lui montrer à mon tour. J’ai vu que cela le mortifiait, d’autant plus qu’ayant fait tous ses efforts pour savoir quelles relations j’avais eues en Corse, il n’a pu là-dessus m’arracher un seul mot. Comme il ne m’a point apporté de lettres et qu’il n’a voulu ni se nommer ni me donner la moindre notion de lui, je l’ai remercié des visites qu’il voulait continuer de me faire ; il n’a pas laissé de passer ici dix ou douze jours, sans revenir me voir. J’ignore ce qu’il a fait. » La défiance de Rousseau envers ce voyageur était occasionnée par les bruits que Voltaire avait fait courir. Mais elle pouvait, quoique motivée, être injuste, et ces bruits auraient pu causer un pareil accueil au véritable envoyé de Paoli, à qui cependant les précautions prises par le chevalier de Malte eussent été aussi nécessaires qu’à ce dernier. Nous n’avons point eu de renseignements sur cette mission vraie ou prétendue de ce voyageur que Rousseau ne nomme point.