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528 DISCOURS

sans quoi on n’entendrait pas les miennes: cet inconvénient m'avait fait prendre des mesures pour que mes mémoires ne fussent vus que longtemps après ma mort et après celle des gens qui peuvent y prendre intérêt. Mes malheurs ont rendu ces mesures insuffisantes, et il ne reste d’autres moyens sûrs pour conserver mon dépôt que de le placer dans des cœurs vertueux et honnêtes qui en conservent le souvenir.

Il serait important, pour bien juger de ma conduite, de connaître à fond mon tempérament, mon naturel, mon caractère, qui, par une singularité de la nature, ne ressemblent point à ceux des autres hommes, en s'obstinant à juger de tous mes motifs par ceux qui les auraient déterminés eux-mêmes ; en pareil cas, ils se sont toujours trompés dans l'interprétation de mes vues. Mais ces détails, qu’il faudrait reprendre depuis ma première enfance, sont trop étendus pour pouvoir être faits en un jour. Et il m’importe de commencer par ce que j’ai à dire de plus essentiel, afin que s’il survenait des obstacles à d’autres séances, le fruit de celle-ci ne fût pas perdu . Je me bornerai donc, messieurs, à vous faire aujourd’hui le narré fidèle de tout ce qui m’est arrivé, et si j’ose ainsi parler, l’histoire de mon âme depuis mon entrée en France jusqu’à mon départ de Montmorency, lors du décret rendu contre moi, sauf à revenir dans l’occasion à la partie que je suis forcé d’omettre si vous n’êtes pas trop ennuyés de celle-ci.

Je vous conjure, messieurs, de vouloir m’écouter avec une attention digne, non de l'importance des choses que j’ai à vous dire et qui par elles-mêmes n’en méritent guère, mais de l’emploi dont j’ose vous charger ; emploi le plus noble que des mortels puissent remplir sur la terre, puis-