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304 AVIS DE ^’ÉDITEUR.

davantage. Oa y verra aussi le projet qu’il eut et qu’il n’exécuta point de faire une vie de Vabbé de Saint-Pierre ; or, les fragments que nous faisons paraître aujourd’hui ne sont autre chose qu*un reste des matériaux que Rousseau rassembla dans Fintention d’é- crire cette vie.

« Je croyais, dit Rousseau, avoir des trésors dans les manuscrits que m’avait donm’s le comte de Saint-Pierre. En les examinant, je vis que ce n’était pres(|ue que le recueil des œuvres imprimées de son oncle, annotées et corrigées de sa main, avec quelques autres petites pièces qui n’avaient pas vu le jour. Je me confirmai, par ses écrits de morale, dans l’idée que m’avaient donnée quelques lettres de lui que madame de Gréqui m’avait montrées, qu’il avait beau- coup plus d’esprit que je n’avais cru ; mais l’examen approfondi de ses ouvrages de politique ne me montra que des vues superficielles, des projets utiles, mais impraticables, par l’idée dont l’auteur n’a jamais pu sortir, que les hommes se conduisaient par leurs lumières plutôt que par leurs passions. La haute opinion qu’il avait des con- naissances modernes lui avait fait adopter ce faux principe de la raison perfectionnée, base de tous les établissements qu’il proposait, et source de tous ses sophismes politiques. Cet homme rare, l’hon- neur de son siècle et de son espèce, et le seul peut-être, depuis l’existence du genre humain, qui n’eût d’autres passions que celle de la raison, ne fit cependant que marcher d’erreurs en erreurs dans tous ses systèmes pour avoir voulu rendre les hctoimes sem- blables à lui, au lieu de les prendre tels qu’ils sont, et qu’ils cou- tinueront d’être. Il n’a travaillé que pour des êtres imaginaires en pensant travailler pour ses contemporains.

« Tout cela vu, je me trouvai dans quelque embarras sur la forme à donner à mon ouvrage. Passer à l’auteur ses visions, c’était ne rien faire d’utile ; les réfuter, à la rigueur était faire diose mal- honnête, puisque le dépôt de ses manuscrits, que j’avais accepté et même demandé, m’imposait l’obligation d’en traiter honorablement Fauteur.

(( Je pris enfin le parti qui me parut le plus décent, le plus îudicieux et le plus utile, ce fut de donner séparément les idées de