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•296 FRAGMENT

les livres, s’altère dans le discours ; elle est plus claire quand on écrit et plus sourde quand on parle ; la syntaxe s’épure et l'harmonie se perd. La langue française devient de jour en jour plus philosophique et moins éloquente, bientôt elle ne sera plus bonne qu’à lire et tout son prix sera dans les bibliothèques.

La raison de cet abus est, comme je l’ai dit ailleurs, dans la forme qu’ont prise les gouvernements, et qui fait qu’on n’a plus rien à dire au peuple, que les choses du monde qui le touchent le moins et qu’il se soucie le moins d’entendre, comme des harangues, des discours acadé- miques. Quand on n’a rien ouï de tout cela, le public n’a pas perdu grand’ chose, et souvent l’orateur y a beaucoup gagné. Depuis longtemps on ne parle plus au public que par des livres, et si l’on lui dit encore de vive voix quelque chose qui l’intéresse, c’est au théâtre. Aussi les comédiens, n’osant altérer l’usage reçu dans la prononciation, sont-ils forcés de chanter pour se faire entendre, quoique dans un lieu fermé. Si quelque homme en place allait prendre tout de bon, même dans l’occasion la plus importante, le ton que prend un acteur au théâtre, au lieu de persuader il ferait rire. C’est un ton de convention qui n’est admis que sur les tréteaux.

Les livres bien écrits vont partout, dans les provinces, dans les villages, chez l’étranger. Il n’y a point de lieu si reculé, où l’on ne puisse étudier les règles de la langue dans les ouvrages qui en traitent, et voir l’application de ces règles dans les écrits des bons auteurs. Il n’en est pas de même des règles de la prononciation ; ce ne sont pas les livres qui les portent, ce sont les hommes. — Les gens qui parlent bien ne sont communs dans aucun pays du monde,