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MON PORTRAIT. 289

grand homme. Ce n’est pas en faisant des livres, ni en vers, ni en prose, qu’il deviendra tel.

Je ne me soucie point d’être remarqué ; mais, quand on me remarque, Je ne éuis pas fâché que ce soit d’une ma- nière un peu distinguée, et j’aimerais mieux être oublié de tout le genre humain que d’être regardé comme un homme ordinaire. J’ai là-dessus une réflexion sans réplique à faire : c’est que, de la manière dont je suis connu dans le monde, j’ai moins à gagner qu’à perdre à me montrer tel que je suis. Quand même je voudrais me faire valoir, je passe pour un homme si singulier, que chacun se plai- sant à ampliiier, je n’ai qu’à m’en remettre à la voix pu- blique ; elle me servira mieux que mes propres louanges. Ainsi, à ne consulter que mon intérêt, il serait plus adroit de laisser parler de moi les autres que d’en parler moi-même. Mais, peut-être que par un autre retour d’amour-propre, j’aime mieux qu’on en dise moins de bien, et qu’on en dise davantage. Or, si je laissais faire le public, qui en a tant parlé, il serait tout à craindre qu’en peu de temps il n’en parlât plus.

J’approche du terme de la vie, et je n’ai fait aucun bien sur la terre ; j’ai les intentions bonnes, mais il n’est pas toujours si facile de bien faire qu’on pense. Je conçois un nouveau genre de service à rendre aux hommes ; c’est de leur offrir l’image fidèle de l’un d’entre eux, afin qu’ils apprennent à se connaître.

Je suis observateur et non moraliste. Je suis le bota- niste qui décrit la plante ; c’est au médecin qu’il appar- tient d’en régler l’usage.

Mais je suis pauvre, et quand le pain sera prêt à me manquer, je ne sais pas de moyen plus honnête d’en avoir