286 MON PORTRAIT.
sentiments que j’ai tant cherchés I c’est trop tard pour être heureux I
Je crois qu’il n’y a point d’homme sur la vertu duquel on puisse moins compter, que celui qui recherche le plus l’approbation des autres ; il est aisé, je l’avoue, de dire qu’on ne s’en soucie pas, mais là dessus il faut moins s’en rapporter à ce que dit un homme qu’à ce qu’il fait. En tout ceci, ce n’est pas de moi que je parle, car je ne suis soli- taire que parce que je suis malade et paresseux. Il est presque assuré que, si j’étais sain et actif, je ferais comme les autres.
Je ne fais jamais rien qu’à la promenade, la campagne est mon cabinet ; l’aspect d’une table, du papier et des livres me donne de l’ennui ; l’appareil du travail me dé- courage. Si je m’assois pour écrire, je ne trouve rien, et la nécessité d’avoir de l’esprit me Tôte. Je jette mes pen- sées éparses et sans suite sur des chiffons de papier. J’a- juste ensuite tout cela, tant bien que mal, et c’est ainsi que je fais un livre. Jugez quel livre i J’ai du plaisir à mé- diter, chercher, inventer. Le dégoût est de mettre en ordre, et la preuve que j’ai moins de raisonnement que d’esprit, c’est que les transitions sont toujours ce qui me coûte le plus* Cela n’arriverait point si les idées sellaient bien dans ma tête.
L’enfer du méchant est d’être réduit à vivre seul avec lui-même ; mais c’est le paradis de l’homme de bien, et il n’y a point pour lui de spectacle plus agréable que celui de sa propre conscience.
Vous pensez que j’ai moins d’amour-propre que les autres hommes, ou que le mien est fait d’une autre ma- nière ; c’est la facilité que j’ai de vivre seul. Quoi qu’on en