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266 LES AMOURS

à y opposer,^prit le parti d’obéir sans murmure, et le ma- riage allait s’achever si, deux jours avant la noce, le iiancé ne se fût trouvé attaqué d’un mal fort extraordinaire. Des vomissements continuels, accompagnés de convulsions et de symptômes dangereux, firent craindre pour sa vie. On appela le chirurgien du village qui, ne connaissant rien à un mal aussi singulier, ne manqua pas d’en donner une longue explication et de faire beaucoup de mauvaises ordonnances, faute d’en savoir trouver une bonne. Heu- reusement pour le pauvre Marcellin, ori découvrit la véri- table cause de sa maladie avant que les drogues de son Es- culape ne lui en eussent donné une plus dangereuse. Cette cause secrète était l’amour, mais avec des circon- stances si singulières qu’elle feront mieux connaître l’in- nocente simplicité de ce jeune homme que toutes les descriptions que j’en pourrais faire.

Une jeune fille d’Orival, nommée Claire, avait été élevée à Valence auprès d’une dame qui l’avait prise en amitié et dont sa mère avait nourri un enfant. Cette dame était morte à peu près dans le temps que le mariage dont je viens de parler avait été résolu, et qifôlques jours après cet événement, Marcellin, étant allé à Valence avec sa njère faire des emplettes de noce j avait eu occasion de voir Claire pour quelques commissions dont la famille de cette fille l’avait chargé pour elle.

Claire était charmante sans être belle, ou du moins sa beauté avait plus d’éléga ;nce que de régularité ; elle n’ex- citait pas l’admiration, mais elle touchait, sans qu’on sût pourquoi. Ce pourquoi était, qu’avec des traits communs, ses regards, son geste, sa physionomie annonçaient une âme sensible, et qu’une âme sensible est, pour celles qui le