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224 FRAGMENTS

rieur est un sentiment public. Le public s’y trompe sans doute, à quoi ne se trompe-t-il pas ? mais pour tout œil qui sait \oir, elles sont ce qu’elles paraissent, et Ton peut sans témérité juger de leur êti*e moral. Ce qui fait la misère hu- maine est la contradiction qui se trouve entre notre état et nos désirs, entre nos devoirs et nos penchants, entre la nature et les institutions sociales, entre Thomme et le citoyen. Rendez l’homme un et vous le rendrez aussi heu- reux qu’il peut l’être. Donnez-le tout entier à l’Etat ou laissez-le tout entier à lui-même, mais si vous partagez son cœur vous le déchirez, et n’allez pas vous imaginer que l’État puisse être heureux quand tous les membres pâtissent. Cet être moral que vous appelez bonheur public est en lui-même une chimère ; si ce sentiment du bien-être n’est chez personne, il n’est rien, et la famille n’est point florissante quand les enfants ne prospèrent pas. Rendez les hommes conséquents à eux-mêmes, étant ce qu’ils veu- lent paraître et paraissant ce qu’ils sont : vous aurez mis la loi sociale au fond des cœurs ; hommes civils par leurs nature et citoyens par leurs inclinations, ils seront un, ils seront bons, ils seront heureux, et leur félicité sera celle de la république, car n’étant rien que par elle, ils ne se- ront rien que pour elle, elle aura tout ce qu’ils ont et sera tout ce qu’ils sont. Dans un autre système il y aura tou- jours quelque chose qui n’appartiendra pas à l’État, ne fût-ce que la volonté de ses membres, et qui est-ce qui peut ignorer l’influence de cette volonté dans les affaires ? Quand nul ne veut être heureux que pour lui, il n’y a point de bonheur pour la patrie.