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164 LETTRES SUR LA VERTU

les plaisirs que je goûte, le plus doux de tous me manque encore ; je n’ai pas celui de me faire un mérite de ma ré- sistance ; je suis aussi coupable que si j’avais succombé ; sans vous j’étais perdu, j’étais le dernier des hommes, et c’est vous qui m’avez forcé de me vaincre. Comment ne pourrais-je songer sans plaisir à ces moments qui ne me furent douloureux qu’en m’épargnant des douleurs éter- nelles ? Comment ne jouirais-je pas aujourd’hui du charme d’avoir écouté, de votre bouche, tout ce qui peut élever l’âme et donner du prix à l’union des cœurs ?

Ah I Sophie, qu’aurais-je pu devenir après avoir été in- sensible auprès de vous et à tout ce qui m’avait acquis votre estime, et vous avoir montré, dans l’ami que vous vous étiez choisi, un malheureux que vous deviez mépri- sera C’est tout ce qu’il y a de plus touchant dans l’image de la vertu que vous mettiez devant mes yeux ; c’est la crainte de souiller si tard une vie sans reproche, de perdre en un instant le prix de tant de sacrifices ; c’est le dépôt sacré de l’amitié que j’avais à respecter ; c’est de tout ce que la foi, l’honneur, la probité ont de plus inviolable que se formait l’invincible barrière que vous opposiez sans cesse à mes désirs. — Non, Sophie, il n’y a pas un de mes jours où vos discours ne viennent encore émouvoir mon cœur et m’arracher des larmes délicieuses. Tous mes sen- timents pour vous s’embellissent de celui qui lés a sur-> montés : ils foiît la gloire et la douceur de ma vie, et c’est à vous que je dois tout cela : c’est par vous du moins que

  • Rousseau a mis en marge dans cet endroit de son manuscrit : < Quel

horrible savoir que celui qui ne sert qu’à lever les scrupules, étoufier les remords et multiplier sur la terre le nombre des méchants. »

(NotederÉdUeur.)