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ET LE BONHEUR. 159

prouve, sinon notre faiblesse : et comment savons-nous mieux leur destination que la nôtre ? — Si nous étions privés de la vue, par où pourrions-nous apprendre qu’il existe des oiseaux, des poissons, des insectes presque in- sensibles au toucher ? Plusieurs de ces insectes, à leur tour, paraissent n’avoir aucune idée de nous. Pourquoi donc n’existerait-il pas d’autres espèces plus excellentes, que nous n’apercevrons jamais faute de sens propres à les découvrir, et pour qui nous sc»nmes peut-être aussi méprisables que les vermisseaux le sont à nos yeux ? Mais c’est assez déprimer l’homme : enorgueilli des dons qu’il n’a pas, il lui en reste assez pour nourrir une fierté plus digne et plus légitime. Si la raison l’écrase et l’avilit, le sentiment intérieur le relève et l’honore ; l’hommage que le méchant rend au juste en secret, est le vrai titre de noblesse que la nature a gravé dans le cœur de l’homme. — N’avez-vous jamais senti cette secrète inquiétude qui nous tourmente à la vue de notre misère, et qui s’indigne de notice faiblesse comme d’un outrage aux facultés qui nous élèvent ? N’avez-vous jamais éprouvé ces transports involontaires qui saisisscQt quelquefois une âme sensible à la contemplation du beau moral et de l’ordre intellectuel des choses : cette ardeur dévorante qui vient tout à coup embraser le cœur de l’amour des célestes vertus, ces su- . blimes égarements qui nous élèvent au-dessus de notre être, et nous portent dans l’empyrée à côté de Dieu même ? Ahl si ce feu sacré pouvait durer, si ce noble délire ani- mait notre vie entière, quelles actions héroïques effraye- raient notre courage ? quels vices oseraient approcher de nous ? quelles victoires ne remporterions-nous point sur nous-mêmes, et qu’y aurait-il de grand que nous ne