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ET LE BONHEUR. 157

ce dernier au-dessus des animaux ? Pourquoi n’imagi- nerions-nous pas le \aste sein de l’univers plein d’une infinité d’esprits de mille ordres différents, éternels admi- rateurs du jeu de la nature, et spectateurs invisibles des actions des hommes ?

ma Sophie I qu’il m’est doux de penser qu’ils assis- taient quelquefois à nos plus charmants entretiens, et . qu’un murmure d’applaudissements s’élevait parmi les pures intelligences, en voyant deux amis tendres et hon- nêtes , faire dans le secret de leur cœur des sacrifices à la vertu.

Que ce ne soient là que des conjectures sans probabilité, j’en conviens ; mais il me suffit qu’onze puisse prouver le contraire, pour en déduire les doutes que je veux établir. Où sommes-nous ? Que voyons-nous ? Que savons-nous ? Qu’est-ce qui existe ? Nous ne courons qu’après des ombres qui nous échappent : quelques spectres légers, quelques vains fantômes voltigent devant nos yeux ; et nous croyons voir l’éternelle chaîne des êtres. Nous ne connaissons pas une seule substance dans l’univers, nous ne sommes pas même sûrs d’en voir la surface, et nous voulons sonder l’abîme de la nature I Laissons un si puéril travail à ces enfants qu’on appelle des philosophes. Après avoir par- couru le cercle étroit de leur vain savoir, il faut finir par où Descartes avait commencé. Je pense, donc j’existe ; voilà tout ce que nous savons.