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gures, ne juge exactement d'aucune ; il ne nous apprendra jamais si une ligne est droite, si une surface est plane, si un cube est régulier. Il ne juge pas mieux des dçgrés de chaleur ; la même cave nous paraît fraîche l'été et chaude l'hiver, sans avoir changé de température ; exposez la main droite à l'air, la gauche à un grand feu, puis trempez-les à la fois dans l'eau tiède, cette eau paraîtra chaude à la main droite et froide à la gauche.

Chacun raisonne sur la pesanteur, mais nul ne sent son effet le plus général, qui est la pression de l’air ; à peine sentons-nous le fluide qui nous environne, et nous croyons ne porter que le poids de notre corps tandis que nous portons celui de tout l’atmosphère. Voulez-vous en éprouver quelque léger indice : étant au bain, sortez lentement le bras hors de l'eau dans une situation horizontale, et à mesure que l'air pressera le bras, vous sentirez fatiguer vos muscles par cfette pression terrible dont vous ne vous étiez peut-être jamais doutée. Mille autres observations semblables nous apprendraient en combien de manières le plus sûr des sens nous abuse, soit en dérobant et altérant des effets qui existent, soit en en supposant qui n’existent pas. Nous avons beau réunir la vue et le toucher pour juger de l’étendue qui est du ressort des deux, nous ne savons pas même ce que c’est que grandeur et petitesse. La grandeur apparente des objets est relative à la stature de celui qui les mesuré : un grain qu’un ciron trouve en son chemin lui présente la masse des Alpes ; un pied pour nous est une toise aux yeux du pygmée, et un pouce à ceux du géant. Si cela n’était pas, nos sens seraient disproportionnés à nos besoins et nous ne pourrions subsister. En tout sens, chacun prend sur soi-même la mesure de toutes