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i46 LETTRES SUR LA TERTU

Maïs il ne nous apprend point à connaître ces vérités pri* mitives qui servent d’élément aux autres, et quand à leur place nous mettons nos opinions, nos passions, nos préju- gés, loin de nous éclairer il nous aveugle ; il n’élève point l’âme, il l’énervé, et corrompt le jugement qu’il devait perfectionner.

Dans la chaîne de raisonnements qui servent à former un système, la même proposition reviendra cent fois avec des différences presque insensibles qui échapperont à l’esprit du philosophe. Ces différences si souvent multipliées mo- difieront enfin la proposition au point de la changer tout à fait sans qu’il s’en aperçoive, il dira d’une chose ce qu’il croira prouver d’une autre, et ses conséquences seront au- tant d’erreurs. Cet inconvénient est inséparable de l’esprit de système qui mène seul aux grands principes, et consiste à toujours généraliser ; les inventeurs généralisent autant qu’ils peuvent ; cette méthode étend les découvertes, donne un air de génie et de force à ceux qui les font, et parce que la nature agit toujours par des lois générales, en établis- sant des principes généraux à leur tour, ils croient avoir pénétré son secret. À force d’étendre et d’abstraire un pe- tit fait, on le change ainsi en une règle universelle ; on croit remonter aux principes, on veut rassembler en un seul objet plus d’idées que l’entendement humain n’en peut comparer, et l’on affirme d’une infinité d’êtres ce qui souvent se trouve à peine vrai dans un seul. Les observa- teurs moins brillants et plus froids viennent ensuite, ajou- tant sans cesse exception sur exception, jusqu’à ce que la proposition générale soit devenue si particulière, qu on n’en puisse plus rien inférer, et que les distinctions et l’expérience la réduisent au seul fait dont on l’a tirée*