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. ET LE BONUEUU. Ub

la misère, la faim, le désespoir : si quelques hommes sont plus heureux, le genre humain n’en est que plus à plain- dre. En multipliant les commodités de la vie pour qud- ques riches, on n*a fait que forcer la plupart des hommes de s’estimer misérables. Quel est ce barbare bonheur qu’on ne sent qu’aux dépens des autres ? Ames sensibles, dites- le-moi : qu’est-ce qu’un bonheur qui s’achète à prix d’ar- gent ?

Les connaissances rendent les hommes doux, disent-ils encore ; le siècle est moins cruel, nous versons moins de sang. Ah I malheureux I faites-vous moins verser de larmes, et les infortunés qu’on fait mourir de langueur durant une vie entière n’aimeraient-ils pas mieux la perdre une fois sur un échafaud ? Pour être plus doux êtes-vous moins in- justes, moins vindicatifs ; la vertu est-elle moins opprimée, la puissance moins tyrannique ? le peuple est-il moins at- taqué : voit-on moins de crimes, les malfaiteurs sont-ils plus rares, les prisons sont-elles moins pleines ? Qu’avez- vous donc gagné à vous amollir ? Aux vices qui marquent du courage et de la vigueur, vous avez substitué ceux des petites âmes ; votre douceur est lâche ef pusillanime, vous tourmentez sourdement et à l’abri ceux que vous auriez attaqués à force ouverte ; si vous êtes moins sanguinaires, ce n’est pas vertu, c’est faiblesse ; ce n’est encore qu’un vice de plus.

L’art de raisonner n’est point la raison, souvent il eti est l’abus. La raison est la facuUé dordonner toutes les facul- tés de notre âme convenablement à la nature des choses, et à leurs rapports avec nous. Le raisonnement est l’art de comparer les vérités connues pour en composer d’autres vérités qu’on ignorait et que cet art nous fait découvrir.