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ET LE BONHEUR. 141

me rimpose. Car les individus à qui je dois la vie, et ceux qui m’ont fourni le nécessaire, et ceux qui ont cultivé mon âme, et ceux qui m’ont communiqué leurs talents peu- vent n’être plus ; mais les lois qui protégèrent mon enfance ne meurent. point ; les bonnes mœurs dont j’ai reçu l’heu- reuse habitude, les secours que j’ai trouvés prêts au be- soin, la liberté civile dont j’ai joui, tous les biens que j’ai acquis, tous les plaisirs que j’ai goûtés, je les dois à cette police universelle qui dirige les soins publias à l’avantage de tous les hommes, qui prévoyait mes besoins avant ma naissance, et qui fera respecter mes cendres après ma mort. Ainsi mes bienfaiteurs peuvent mourir, mais, tant qu’il y a des hommes, je suis obligé de rendre à l’huma- nité les bienfaits que j’ai reçus d’elle.

LETTRE II

L’objet de la vie humaine est la félicité de l’homme ; mais qui de nous sait comment on y parvient ? Sans prin- cipe, sans base assurée, nous courons de désirs en désirs, et ceux que nous venons à bout de satisfaire nous laissent aussi loin du bonheur qu’avant d’avoir rien obtenu. Nous n’avons de règle invariable, ni dans la raison qui manque de consistance, ni d^ns les passions qui se succèdent et s’entre-détruisent incessamment. Victimes de l’aveugle in- constance de nos cœurs, la jouissance des biens désirés ne fait que nous préparer à des privations, à des peines : tout ce que nous possédons ne sert qu’à nous montrer ce